Christophe
Rey
Sam 10 Mai 2025 14:31
Chère Catherine,
Merci pour ton message du 1 mai dernier, si je n’y ai pas répondu illico c’est que j’escomptais rédiger la mini biographie que tu me demandais dans ton courriel, et te l’envoyer – je me souviens aussi que tu me l’avais déjà demandée au sortir de mon exposition chez toi. Je tarde, décidément, non pas afin d’avoir entretemps accumulé encore un peu plus de temps vie (et donc, dirions-nous, d’expérience), de quoi trouver peut-être la pépite essentielle, celle qui résumerait en une phrase grandiose la substantifique moelle de mon existence, le nec plus ultra après tout, du genre : On ne se baigne jamais dans le même fleuve, d’Héraclite, ou : Il faut que le coeur se brise ou se bronze, de Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, ou, moins important, mais que j’ai retenu : Tout le monde se plaint de sa mémoire, personne de son jugement, de La Rochefoucauld. Ce dernier, que j’aime beaucoup, a écrit plus important : Le soleil ni la mort ne se regardent de face.
…
Je pourrais donc, au moins écrire dans ma biographie pour le site de Locus Solus, que je cherche la formule qui me permettrait de rester avec une seule phrase, comme Héraclite, mais que celle-ci, tant attendue, je ne l’ai toujours pas trouvée, et je doute qu’elle me vienne. En tous cas ce n’est pas le FMAC qui s’y est collé pour m’aider, puisqu’il y a quelques années, dans le cadre d’un concours à une bourse artistique, justement je leur avais proposé qu’ils me paient un hôtel grand luxe, un mois durant dans le Yosemite National Park, et que j’essaierai de fournir, en me pressant le ciboulot, une phrase choc, sérieusement sentie, sonnante et trébuchante, qui aurait abasourdi un bon paquet de monde, et m’aurait permis ensuite de couler mes vieux jours comme Will Rogers dans le dernier plan du film de John Ford Steamboat Round the Bend (1936), où Rogers, après avoir gagné une improbable course de bateaux à aubes, et dans la foulée sauvé un jeune homme d’une erreur judiciaire, permettant ainsi que celui-ci retrouve sa bien-aimée, une sauvageonne des bords de Mississippi, Rogers s’asseye sur une chaise sur son bateau et regarde tranquillement l’eau depuis le pont.
…
Bref, tu m’as envoyé ton courriel au moment où je voulais justement t’écrire un mot. J’ai envoyé un petit quelque-chose, je ne me souviens plus quoi. Mais voilà, si je me suis essayé à rédiger ma bio, je n’ai rien trouvé d’encore satisfaisant, et je repars bientôt pour Paris, et ensuite la Meuse…
Mais avant cela je dirais ceci :
Oui, je me souviens bien de la date du vernissage d’Alain, et je viendrai, bien sûr, avec grande joie, je m’en réjouis.
Et aussi : ça me fait plaisir quand tu apprécies une de mes photographies sur Instagram.
Et aussi : à Vienne, l’American Bar d’Adolf Loos c’est bouleversant : j’ai eu des insomnies la nuit après l’avoir visité tellement il me donnait à réfléchir.
…
Au fond, dans ma biographie je pourrais dire quelque-chose de cet ordre : Christophe Rey a été parfois stupéfait par des oeuvres d’art qui lui ont donné à réfléchir des années durant. Par orgueil il a eu l’ambition de laisser lui aussi au Monde quelque-chose d’important, mais ce n’est toujours pas advenu, et il faut bien avouer qu’il n’a pas fait beaucoup d’efforts de concentration pour y arriver. Mais il s’est promis qu’à l’avenir, le temps qui lui est imparti s’amenuisant, il va se donner de cette peine, et paradoxalement essayer de travailler encore plus lentement.
à bientôt très chère,
je t’embrasse,
Christophe