Trois Tristes Tigres (1965)
Guillermo Cabrera Infante, Gallimard.

Lecture par Tomas Gonzalez,
samedi 7 octobre à 17 heures

Trois Tristes Tigres est un livre sans véritable fil conducteur, où il ne se passe rien, ou pratiquement rien. Les quatre protagonistes narrateurs du roman, Silvestre l’écrivain, Arsenio Cué l’acteur, Codac le photographe et Eribo le musicien mélangent leur voix pour raconter la vie nocturne de la Havane d’avant la Révolution, celle rythmée par la musique, par le sexe et par les discussions sans fin faites de jalousies, de drames, de crises profondes et de remises en question. Ceci la plupart du temps dans un torrent verbal truffés de jeux de mots et d’humour qui fait de ce livre avant tout le roman du langage.

” Bustrófedon était toujours à chasser des mots dans les dictionnaires (ses safaris sémantiques) – quand il se perdait de vue et s’enfermait avec un dictionnaire, n’importe lequel, dans sa chambre, mangeant à table avec lui, allant aux ouatères avec lui, dormant avec lui à ses côtés, chevauchant des jours entiers sur le dos d’un dico – qui était le seul livre qu’il lisait et il disait, il disait à Silvestre, que c’était mieux que les rêves, mieux que les imaginations érotiques, mieux que le ciné. Mieux qu’Hitchcock, quoi! Parce que le dictionnaire était du suspense avec un mot perdu dans une forêt de mots (des aiguilles non pas dans une meule de foin, il serait facile de les trouver, mais une aiguille dans un aiguiller) il y avait le mot perdu, le mot innocent, le mot coupable, le mot assassin, le mot policier, le mot sauveur et le mot fin, et que le suspense du dictionnaire consistait à chercher un mot désespéré de haut en bas du livre jusqu’à le trouver et quand il apparaissait et qu’on voyait qu’il signifiait autre chose c’était mieux que la surprise de dernière bobine (…) »
Guillermo Cabrera Infante, Trois Tristes Tigres, Gallimard pp 222 – 223